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Par Charlène Thébaud le 12 novembre 2018
Le 24 octobre dernier l’UFR droit de Nantes accueillait la conférence “Le droit face au harcèlement”, l’occasion de faire le point quelques mois après l’adoption de la loi Schiappa.
En projet depuis le 21 mars 2018 et adoptée cet été, la “Loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes” démontre une volonté de prendre en compte des lacunes dans la protection de certains sujets de droit, malgré un régime spécifique déjà à l’oeuvre en matière d’infractions à caractère sexuel.
“Ce sont des infractions qui font l’objet d’une intervention législative sur la matière contraventionnelle pour souligner qu’il y a une importance à ce que ces éléments soient discutés de manière explicite devant la représentation nationale. On est sur des atteintes à certaines libertés qui peuvent perturber les relations entre les individus” observe Sylvie Grunvald, maître de conférence à l’université de Nantes.
L’usage du terme “sexistes” dans le titre de la loi Schiappa n’est pas anodin : les enquêtes Cadre de Vie et Sécurité révèlent qu’en 2015-2016, 81 % des victimes de violences sexuelles étaient des femmes. Des chiffres parlant d’eux-mêmes sur la condition féminine en France.
Le renforcement de la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles
Tête de gondole de la loi Schiappa, sa première partie a parfois été sujette à des interprétations fallacieuses. Elle contient les dispositions permettant de renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles, et de nombreuses fake news racoleuses décriaient une légalisation de la pédophilie, ou encore une correctionnalisation de l’infraction de viol. Il n’en est rien en réalité, cette disposition venant apporter des précisions utiles dans le domaine.
En 2017, le ministère public ne retint pas la qualification juridique de viol alors qu’il fut fait état de rapports sexuels entre une fillette de 11 ans et un majeur de 28 ans
Sujet polémique par excellence, les infractions à caractère sexuel commises sur les mineurs émeuvent régulièrement l’opinion public.
En 2017, le ministère public ne retint pas la qualification juridique de viol alors qu’il fut fait état de rapports sexuels entre une fillette de 11 ans et un majeur de 28 ans. En cause une interprétation restreinte de l’infraction de viol.
Si tout rapport sexuel entre un mineur de moins de 15 ans (âge de la majorité sexuelle) et un majeur est qualifié de façon systématique d’atteinte sexuelle, le viol n’est pas forcément retenu. La loi française procède par paliers. La catégorie juridique des mineurs recoupe une vaste réalité, allant de l’infans à l’adolescent.
L’atteinte sexuelle simple sur mineur de moins de 15 ans était alors punie de 5 ans d’emprisonnement. Les attouchements sexuels, qualifiés par l’usage de contraintes ou menaces à l’encontre de cette même catégorie de victimes, font encourir 10 ans de prison à leur auteur. En cas de pénétration commise avec violence, contrainte, menace ou surprise, le viol est légalement qualifié. Habituellement sanctionné de 15 ans de réclusion criminelle, le quantum de la peine d’emprisonnement monte à 20 ans lorsque le viol est commis sur un mineur de moins de 15 ans.
Dans l’affaire précitée, l’élément matériel de l’infraction -la pénétration- était bien présent. Mais la violence, contrainte, menace ou surprise faisaient défaut. La loi du 8 février 2010 a ajouté à la contrainte physique la possibilité d’une contrainte morale. Elle n’a pas non plus pu être retenue, étant définie dans les textes (art. 222-22-1 CP) comme pouvant résulter d’une différence d’âge entre la victime et l’auteur. À cet écart doit s’ajouter une autorité de droit ou fait (ascendance au sens juridique par exemple), ce qui n’a pas pu être décelé dans cette affaire de 2017. L’auteur âgé de 28 ans a été poursuivi par le parquet pour atteinte sexuelle, la moins forte des qualifications, ce qui ne manqua pas de susciter des réactions virulentes.
Juristes et profanes semblaient s’accorder sur une lacune évidente des textes en la matière
“À 11 ans tu ne peux pas être conscient de la sexualité donc cette personne en a très clairement profité. Vu les faits la qualification de viol est ridicule” s’indigne Francis G., analyste financier, à l’instar de nombreux autres anonymes. Juristes et profanes semblaient s’accorder sur une lacune évidente des textes en la matière.
Il faut cependant préciser que la jurisprudence a déjà pu accepter que l’âge seul de la victime soit utilisé pour démontrer la contrainte ou la surprise nécessaire à la qualification de viol dans le cas particulier de l’infans, mineur âgé de moins de 6 ans qui ne peut faire preuve d’aucune sorte de discernement (Crim. 7 déc. 2005, n° 05-81.316).
Le législateur a voulu aider le juge à caractériser le viol dans le cas de relations sexuelles entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, sans pour autant systématiser ce cas de figure. Une nouvelle possibilité dans le spectre de la contrainte morale a été instituée, pouvant désormais être caractérisée par l’abus de vulnérabilité résultant d’une différence d’âge entre les protagonistes. L’autorité du majeur sur le mineur n’est plus exigée, cependant la différence d’âge exigée pour que soit établi l’abus de vulnérabilité n’est toujours pas chiffrée.
Le délit d’atteinte sexuelle voit son quantum augmenté, passant de 5 ans à 7 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende à 100 000 euros.
La loi Schiappa a entrepris des changements pour renforcer la protection des mineurs, mais est restée dans un compromis qui est loin de satisfaire les associations de défense des victimes.
Les nouvelles dimensions de l’infraction de harcèlement sexuel et moral
La définition juridique du harcèlement a beaucoup fluctué. Introduite en 1992 dans le Code Pénal, elle eut d’abord comme point d’appui principal l’abus d’autorité.
L’article 222-33 CP disposait ainsi : “le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions”.
La qualification était restreinte et le texte fut peu appliqué à cause de sa spécificité. Par ailleurs, il n’y avait pas de définition de la matérialité de l’infraction. Cette imprécision a valu au texte d’être abrogé par décision du Conseil Constitutionnel le 4 mai 2012.
En août 2012, le texte revint et introduisit la notion de dignité : “le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante”.
Depuis la loi Schiappa l’infraction de harcèlement sexuel peut également être constituée lorsque les propos ou l’attitude incriminée présentent un caractère sexiste, ce qui élargit la définition et prend en compte la possible dynamique discriminatoire du comportement du harceleur.
Une protection contre le harcèlement moral sur internet est aussi mise en place par cette disposition, introduisant une nouvelle modalité de commission. Le “raid numérique”, hypothèse dans laquelle une personne est lynchée par plusieurs internautes par le biais des réseaux sociaux, est désormais une infraction pénale punie de deux ans d’emprisonnement et à hauteur de 30 000 euros d’amende.
L’outrage sexiste : une nouvelle contravention à l’efficacité discutable
Cette infraction a pour objet les faits communément regroupés sous l’appellation du “harcèlement de rue”. L’expression était juridiquement inexacte, le harcèlement contenant une notion de répétition de l’acte reproché. Or dans le cas du harcèlement de rue ce sont souvent des manifestations ponctuelles émanant d’individus différents.
l’outrage sexiste incrimine tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à la dignité de la victime en raison de son caractère dégradant ou humiliant
Consigné dans l’article 621-1 CP, l’outrage sexiste incrimine tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à la dignité de la victime en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
L’élément matériel de cette contravention peut être constitué d’une multitude de faits différents ; des comportements verbaux (comme des questions ou commentaires à caractère sexuel, des invitations insistantes, etc.) à des attitudes non verbales (poursuites dans la rue, frottage dans les transports en commun, etc.).
La volonté du législateur était de pénaliser le sexisme dans l’espace public, d’exprimer un interdit, pourtant cette infraction convainc difficilement. La diversité des comportements visés créé un flou juridique qui n’est qu’amplifié par un élément moral limité. Il peut être difficile de déterminer si un “frottage” dans les transports en commun n’est pas seulement le résultat d’une rame de métro bondée engendrant une grande proximité physique des voyageurs. De même, comment différencier la drague un peu lourde de l’outrage sexiste tel qu’il est envisagé par le législateur ? À partir de combien de secondes un coup d’oeil devient un regard appuyé ? À l’absurdité de ces comportements potentiellement qualifiables d’infraction depuis la loi s’ajoute le problème de la preuve. Ces comportements ne pourraient être révélés qu’au moyen d’enregistrements audio ou vidéo. L’outrage peut effectivement être constaté par des agents de police judiciaire témoins de l’infraction, ou encore par divers fonctionnaires, mais il est aisé de prédire que dans la grande majorité des cas ce sera la parole de la victime contre celle du prévenu.
À ce constat, il faut ajouter que les atteintes à caractère sexuel étaient déjà incriminées par le Code Pénal sous la qualification d’agression sexuelle (art. 222-22 CP) ou de harcèlement sexuel (222-33 CP).
L’outrage sexiste constitue un réel apport, mais divers interdits se chevauchent désormais et créent un risque d’incompréhension des textes pour le justiciable.