© Charlène Thébaud
Un article par Elise Charrier le 1er avril 2020
“En gros, c’est : Viens, juge et repars, mais ne donne pas ton sentiment”. (Parole d’un ancien juré d’assises dans l’émission Ça commence aujourd’hui sur France 2 en octobre 2018).
Le jury populaire existe depuis la création du tribunal criminel départemental en 1791. Ce tribunal deviendra plus tard la Cour d’Assises. Son instauration vient prolonger l’idée de souveraineté nationale instituée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Le juré incarne alors la mise en place d’un devoir citoyen et démocratique répondant à l’idée selon laquelle la justice est rendue au nom du peuple français. L’accusé est alors jugé au nom de la société.
Depuis 1941 (régime de Vichy), les magistrats professionnels sont appelés à délibérer avec le jury populaire, alors qu’avant celui-ci statuait seul sur la culpabilité de l’accusé.
Cependant, d’autres juristes considèrent qu’une expérience en tant que juré d’assises se traduit plutôt comme “un épisode de vie destructeur”
Pour certains spécialistes du droit, notamment Me Hervé Temime, l’absence de professionnalisme des jurés dans ce domaine “exclut un comportement routinier” dans les cours d’Assises et permet d’apporter un “regard neuf sur les affaires graves (crimes)” selon Pierre Coirre (président d’Assises). Cependant, d’autres juristes considèrent qu’une expérience en tant que juré d’assises se traduit plutôt comme “un épisode de vie destructeur” (Me François Saint Pierre). C’est ainsi que la Suisse a décidé d’abandonner ce système de jury populaire par un référendum d’initiative populaire en 2011.
Ce système de jury populaire suscite de nombreuses critiques. Le philosophe Herbert Spencer évoquait déjà au XXe qu’ “un jury est un groupe de 12 personnes d’ignorance moyenne réunies par tirage au sort pour décider qui, de l’accusé ou de la victime, a le meilleur avocat”. Il dévoile alors l’influence que les jurés risquent de subir lors d’un procès. On peut alors se poser la question de l’éventuelle pression morale exercée sur les jurés.
Marc Geiger, avocat pénaliste admet quant à lui que “à partir du moment où vous abordez la personnalité de quelqu’un vous faites de lui un humain et c’est ça qui fait la difficulté et la grandeur de la tâche qui vous a été confiée”. Il reconnaît alors que l’expérience vécue par un juré d’assises est unique et qu’elle lui fait prendre conscience des enjeux du milieu pénal, et lui permet d’avoir un regard nouveau sur la société qui l’entoure.
Le juré cherche souvent à être le plus juste, il ne veut pas conduire un innocent en prison, ni laisser un coupable en liberté. Cependant, le processus qui l’amène au délibéré est souvent long et éprouvant… C’est cette expérience de juré d’assises vécue par Sophie que nous allons retranscrire dans le témoignage qui va suivre :
AVANT
– Que vous-êtes vous dit le jour où vous avez appris que vous étiez convoqué à la cour d’Assises de Nantes ?
“Tout d’abord surprise d’être sélectionnée et un peu inquiète sur mon futur rôle”.
– Vous êtes-vous préparé à cette mission de jurée d’assises ?
“Du point de vue professionnel, il fallait déjà prévenir mon employeur que j’allais peut-être devoir m’absenter pendant 15 jours et qu’il n’y avait pas de possibilité d’y échapper. Je n’étais pas remplacée pendant mon absence, il fallait donc anticiper au maximum le travail à faire.
Du côté familial, je n’ai pas eu trop de souci car mes enfants sont grands et autonomes pour se rendre à l’école.
Sinon je me suis renseignée sur le rôle du juré sur internet. J’ai regardé les différentes affaires qui peuvent être jugées en Assises. J’ai aussi discuté avec une amie qui avait été sélectionnée auparavant.”
– Appréhendiez-vous d’être juré d’assises ?
“Oui, j’avais un sentiment de doute de commettre une erreur judiciaire et la peur de ne pas être juste”.
PENDANT
– Quelles relations avez-vous eu avec les autres jurés et les professionnels du droit ?
“La relation entre les jurés est très forte, on passe deux à quatre jours ensemble sans pouvoir exprimer notre ressenti à d’autres personnes qu’eux. Le président de la Cour est très à l’écoute des jurés et veille à ce que tout le monde s’exprime et s’écoute, nous guide. Je pense certainement avoir été influencé par les professionnels du droit. En effet, certains avocats ou magistrats ont une facilité d’expression qui peut prendre aux tripes”.
– Comment avez-vous vécu le fait d’essayer d’être le plus juste ?
“J’ai essayé de mettre mes émotions, mes a priori de côté pour chaque affaire pour pouvoir écouter, comprendre chacune des parties. Mon but était d’aborder les affaires de la façon la plus neutre possible et de me faire ensuite une opinion. C’est difficile de se dire que l’on a été juste lorsque parfois on n’a pas pu solutionner toutes les questions posées, il y a toujours un doute qui plane. Être juste c’est aussi voir ce que le jugement va apporter à la personne condamnée ou non, et à la victime pour se reconstruire et vivre après”.
APRÈS
– Quels sont les apports de ce poste de juré d’assises pour vous ?
“Quand on entend un jugement tomber et des commentaires se faire, on se dit que ce n’est pas si simple que ça de donner un jugement.
C’est une bonne expérience d’avoir découvert ce milieu dont je n’avais qu’une vague idée.
Les différentes affaires auxquelles j’ai pu assister m’ont fait prendre conscience dans quelle situation précaire et dans quelle détresse peuvent vivre certaines personnes”.
Une réflexion au sujet de « Juré d’assises : équilibre entre idéal démocratique et pression morale ? »