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Un article par J. G. le 15 novembre 2020
Le 27 septembre 2020, une guerre de quarante-cinq jours a éclaté entre le Haut-Karabagh, aidé par l’Arménie, ou comme l’appellent les populations locales la république de l’Artsakh, et la république de l’Azerbaïdjan. Ce conflit n’est pas nouveau, il dure depuis un siècle que ce soit officieusement, officiellement ou dans un conflit ouvert. Pour comprendre les raisons qui opposent ces trois pays, nous allons voir tout d’abord les origines du conflit avant de se pencher sur la guerre qui a éclaté en septembre 2020.
Origines du territoire
À son origine, de nombreux arméniens vivaient sur le territoire de l’Artsakh. Alors ce dernier a été intégré au royaume de l’Arménie avant Jésus-Christ. Un désaccord sur l’époque ne nous permet pas de le dater de façon précise, mais il s’agirait soit du IVe siècle avant Jésus-Christ soit du IIe siècle avant Jésus-Christ.
Durant plusieurs siècles, un processus « d’arménisation » se met en place, de telle sorte qu’au Ve siècle après Jésus-Christ, nous ne décelons plus d’élément non arménien. Durant longtemps, l’occupation de ce territoire est assurée par différents pays, États ou royautés, sans pour autant éteindre la culture et les populations arméniennes. De nombreuses églises, écoles, ainsi que la population manifestent pour l’appartenance de ce territoire à l’Arménie, du moins dans ces critères-ci. Ces édifices sont toujours présents de nombreux siècles après leur construction et sont les témoins de la culture et de la religion arméniennes sur la terre d’Artsakh. En voici quelques-uns avec leur date de construction.

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Certains des autres édifices ont des dates plus récentes comme par exemple la crypte de la Sainte-Mère de Dieu construit entre 1904 et 1914.
Origine du conflit
En l’occurrence, ce qu’il s’est passé durant les origines de ce territoire n’intéresse pas directement le conflit. Ce qui nous intéresse ici, c’est le sort de ces terres avant et après la première guerre mondiale. Avec la création de l’URSS, de nombreux États ont été incorporés à la Russie, tels que l’Arménie, l’Artsakh et l’Azerbaïdjan.
Le 4 juillet 1921, en présence et sous l’autorité de Staline, il est décidé que ce territoire sera rattaché à la république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan
Au sortir de la première guerre mondiale, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent le territoire du Haut-Karabagh, qui est constitué de 94% d’arméniens. Le 4 juillet 1921, en présence et sous l’autorité de Staline, il est décidé que ce territoire sera rattaché à la république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. L’Arménie, mécontente, a toujours contesté cette décision et sa légalité. Pourtant un conflit direct n’était pas possible, ni envisageable puisqu’ils faisaient tous les deux parties de l’URSS et étaient donc contrôlés par la Russie et aucun de ces deux minuscules Etats ne voulaient se mettre un allié de cette taille à dos.
Alors au lieu d’un conflit ouvert, après cette décision, les autorités azerbaïdjanaises mettent en place une « désarménisation » du territoire. De nombreux villages arméniens ont été démantelés. C’est ainsi qu’en 1979, nous pouvons relever une nette diminution de la population arménienne habitant là-bas : le pourcentage s’élève alors à 75,9% de la population. L’affaiblissement de l’URSS mène à l’augmentation des tensions entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Dans leurs capitales respectives de nombreuses manifestations ont lieu, les premières pour l’annexion du Haut-Karabagh à l’Arménie et les deuxièmes contre. Cela amène des répercussions plus violentes. Les réfugiés arméniens et azerbaïdjanais fuient leur maison s’ils se situent dans le pays ennemi. De nombreux petits massacres de populations ont lieu dans différentes régions. En 1991, l’URSS tombe. Alors les deux Etats ayant fraîchement acquis leur indépendance commencent une course à l’armement.
Entre-temps, le Haut-Karabagh se proclame indépendant en même temps que les deux grands Etats le 2 septembre 1991. Ce statut est néanmoins annulé par l’Azerbaïdjan le 26 novembre suivant. Mais les parlementaires de l’Artsakh ne s’arrêtent pas là, ils font donc un référendum le 10 décembre 1991 avec la question suivante:
« Acceptez-vous que la République du Haut Karabagh soit un État indépendant décidant lui-même les formes de coopération avec d’autres États ou communautés ?»
Indépendance qui n’a pas été reconnue et ne l’est toujours pas, par les Etats membres de l’ONU.
Ce à quoi la population répond massivement avec une participation de 82,17%, « oui » à un taux de 99,98%. Indépendance qui n’a pas été reconnue et ne l’est toujours pas, par les Etats membres de l’ONU. Et qui est en discussion dans plusieurs pays. En France le parti politique Parti Communiste Français a demandé au président de la République de reconnaître l’indépendance puisque le processus d’indépendance s’est déroulé démocratiquement.
Suite au référendum de 1991, le gouvernement de l’Azerbaïdjan décide de reprendre le contrôle du territoire par les armes. C’est ainsi qu’une guerre ouverte se déclare entre l’Artsakh, l’Azerbaïdjan et leur alliés respectifs l’Arménie officiellement pour le territoire fraîchement indépendant et la Turquie officieusement pour l’État considéré comme « son petit frère » par le camp adverse.
Même avec l’aide de l’Arménie, les armes et les hommes du côté de l’Artsakh sont inférieurs à ceux de l’Azerbaïdjan et de ses alliés.
« pour l’Azerbaïdjan, la question du Karabagh est une question d’ambition ; pour les Arméniens du Karabagh, c’est une question de vie ou de mort »
Andrei Sakharov a expliqué à travers cette citation, ce qu’ils se passaient en Artsakh avant sa mort en 1989 et avant même que la guerre entre les deux camps éclate officiellement : « pour l’Azerbaïdjan, la question du Karabagh est une question d’ambition ; pour les Arméniens du Karabagh, c’est une question de vie ou de mort ». Tout le monde sait que l’ambition de la Turquie a toujours été de constituer l’ancien Empire Ottoman en annexant l’Azerbaïdjan à son territoire, et le seul repart de la réunion des deux alliés est l’Arménie. Cette question de vie ou de mort a-t-elle joué sur la motivation des soldats ? Sûrement, car c’est bien le camp de l’Artsakh qui est sorti vainqueur de cet affrontement en récupérant même des terres ancestrales appartenant à l’Arménie mais alors occupées par l’Azerbaïdjan. Un cessez-le-feu sans date de fin est donc signé en mai 1994. Ce cessez-le-feu avait pour but de permettre des négociations pacifiques entre les trois camps (l’Arménie, l’Artsakh et l’Azerbaïdjan) sous le contrôle du groupe de Minsk, créé par OSCE en 1992, présidé par la France, la Russie et les Etats-Unis.
Néanmoins, même 26 ans après, aucune solution n’a été trouvée. Et durant cette période de nombreuses escarmouches ont eu lieu sur la frontière de l’Azerbaïdjan et de l’Artsakh. Mais c’est bien en 2020 que le conflit a pris une autre ampleur.
Conflit du 27 septembre 2020
En juin 2020, en pleine période d’un virus mondial, l’Azerbaïdjan viole une énième fois le cessez-le-feu et attaque l’Artsakh. L’escarmouche dure quatre jours avant de s’éteindre comme il avait commencé.
L’histoire nous montre que c’était seulement un avertissement avant l’attaque finale. Le république d’Artsakh redoubla de vigilance.
Il ne faut seulement qu’un mois et des poussières pour que l’Artsakh soit à nouveau attaqué. Les combats commencent le 27 septembre 2020 et opposent les soldats arméniens alors âgés de 17 à 22 ans effectuant leur service militaire sur le territoire de l’Artsakh ou dans les environs aux djihadistes et mercenaires syriens envoyé par la Turquie à son allié l’Azerbaïdjan.
L’Azerbaïdjan se heurte de plus à un autre ennemi qui est derrière ces soldats : la diaspora arménienne.
Une guerre inégale commence alors. L’Azerbaïdjan qui avait comme tactique de se servir des mercenaires afin de récupérer rapidement les terres qu’ils convoitaient, se heurte à un barrage inattendu. Les jeunes combattants effectuant leur service militaire résistent. Il se heurte de plus à un autre ennemi qui est derrière ces soldats : la diaspora arménienne.
les gouvernements de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan utilisent une arme de confusion générale : la propagande et le mensonge.
La guerre commence alors sur deux fronts, tandis que les soldats se battent au péril de leur vie, la diaspora se réunit, s’unifie afin de leur venir en aide. Que cela soit via leur pays d’accueil ou via les réseaux sociaux. Alors les gouvernements de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan utilisent une arme de confusion générale : la propagande et le mensonge. Chacun essaye de réveiller le patriotisme, l’espoir, l’esprit combatif de son peuple. Tout est bon pour déstabiliser et monstrualiser l’ennemi. Cela va de fausses informations, aux faux comptes de l’ennemi créés pour augmenter le trouble dans les armées et la population. Des scènes affreuses sont filmées sur les camps et partagées sur les réseaux sociaux en accusant le camp adverse. Les monstruosités de la guerre ne sont plus contenues dans les champs de batailles mais sont bel et bien partagées avec le reste de la communauté. Des atrocités sont commises, les corps sont profanés, mutilés, décapités et tout cela filmé pour déstabiliser l’ennemi et souffler de l’espoir aux alliés.
Ainsi les informations sont compliquées à réceptionner et à démêler pour la diaspora arménienne qui continue tout de même le combat. C’est pour cela que cette dernière récolte près d’un million de dollars en une semaine. Mais la situation se complique, la guerre se poursuit plus longtemps et est plus destructrice que prévu.
Elle se répercute en dehors des frontières, jusqu’à l’étranger et notamment en France.
Le conflit jusqu’en France
De nombreux rassemblements ont lieu dans différents villes de France pour demander la reconnaissance de l’indépendance de l’Artsakh, mais c’est bien un mois après le début des combats que le chiffre explose : près de 20 000 arméniens se réunissent à Paris.
Ce défilé des loups-gris avait pour but de ranimer la haine envers ce peuple et de ne laisser vivre en paix et en sécurité aucun arménien, où qu’il se trouve dans le monde.
Pourtant quelques jours après ces événements, la diaspora qui jusque-là avait peur pour sa famille, ses amis, en Artsakh se voit saisie de terreur pour sa propre survie et sécurité. En effet, durant une manifestation arménienne des turcs débarquent avant de les attaquer. Un homme a été transporté à l’hôpital car il avait reçu un coup de hache sur la tête. Mais ils ne s’arrêtent pas à cela. Dans la nuit du 28 octobre, le groupe terroriste ultra-nationaliste turc surnommé « les loups gris » défilent à Lyon, en criant aux arméniens de sortir avant de leur proférer des menaces de mort. Le président de la République prend les mesures adéquates en démantelant et interdisant ce groupe terroriste en France. Mais pour autant, les arméniens seront-ils a l’abri d’une quelconque attaque perpétré par un rescapé de cette mesure ? Seul le temps nous le dira. Ce défilé des loups-gris avait pour but de ranimer la haine envers ce peuple et de ne laisser vivre en paix et en sécurité aucun arménien, où qu’il se trouve dans le monde.
La fin du conflit ?
Cessez-le-feu qui a comme survie, cinq ans. Dans cinq ans, une nouvelle guerre aura peut-être lieu.
Le 10 novembre 2020, le premier ministre de l’Arménie Nikol Pashinyan signe un cessez-le-feu mettant fin à la guerre avec le président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliyev sous la surveillance de la Russie. De très nombreuses ombres entourent l’acte signé par le premier ministre. Ce qu’il en ressort ce sont la création d’un canal direct entre la Turquie et l’Azerbaïdjan ainsi que la cession de plusieurs territoires de l’Artsakh riche en émotion et en histoire à l’Azerbaïdjan. Des soldats russes sont déployés sur le territoire afin de permettre le respect des termes de ce cessez-le-feu. Cessez-le-feu qui a comme survie, cinq ans. Dans cinq ans, une nouvelle guerre aura peut-être lieu.
Cette décision n’est pas aussi bien accueillie que prévue. C’est une défaite pour le peuple arménien, qui perd une grande partie de son histoire ainsi que son patrimoine. Les habitants des différentes villes cédées à l’Azerbaïdjan vont jusqu’à brûler leurs maisons afin qu’elles ne soient pas bafouées ou profanées, les éléments matériels transportables sont enlevés des églises et des monastères pour les mêmes raisons. Le patrimoine et l’histoire de tout un peuple se trouvent entre les mains d’un ennemi qui souhaite son extermination depuis des siècles.
De nombreux mouvements sont créés sur les réseaux sociaux : ceux qui dénoncent le silence du monde, ceux qui exposent leur culpabilité, et le plus nombreux sont ceux qui s’excusent.
De nombreuses manifestations et contestations ont lieu dans l’Arménie, le pays est plongé dans le chaos après cette décision, la diaspora jusqu’à la unie se divise en deux camps. Ils se demandent tous: « la mort de nos soldats a-t-elle été vaine? » De nombreux mouvements sont créés sur les réseaux sociaux : ceux qui dénoncent le silence du monde, ceux qui exposent leur culpabilité, et le plus nombreux sont ceux qui s’excusent. S’excusent de vivre dans un pays en paix, s’excusent de ne pas avoir assez aidé, s’excusent du silence du monde, s’excusent du silence de leur pays d’accueil, s’excusent pour la signature de l’accord et enfin s’excusent auprès des soldats morts: « Կներեք տղերք » – « pardonnez-nous les gars », sont les mots qui se remplissent sur tous les réseaux avec la promesse de ce souvenir du nom et du visage de tous les victimes.
Témoignage
« Chacun d’entre nous a perdu, quel que soit le camp, quel que soit l’ennemi «
« Avoir été témoin de cette guerre m’a brisé le cœur. Voir ces monstruosités, cette destruction m’a fait peur. Le silence du monde m’a fait me sentir désemparée, seule. J’ai échangé avec un ami au front en essayant de lui insuffler de l’espoir: « nous allons gagner, nous avons tous foi en vous, on est derrière vous ». J’imagine que c’était un moyen de m’insuffler le même espoir, qu’il me réconforte et pourtant je n’oublierai jamais ses mots: « nous n’avons pas d’espoir, la seule chose que nous essayons c’est de survivre. ». Cet ami que j’avais connu taquin, enjoué, et optimiste n’était plus qu’une coquille vide. Nous avons perdu la guerre mais nous avons surtout perdu quelque chose de plus précieux, nous avons perdu cinq-mille personnes. Nous avons perdu des vies inestimables, une génération, des amis, des pères, des mères, des maris, des sœurs, des frères. Malgré des soldats qui font rempart, la population civile a été bombardée, attaquée, tuée. Nous avons tous perdu quelque chose dans cette guerre que ce soit des pertes humaines, que ce soit notre humanité, notre âme. Chacun d’entre nous a perdu, quel que soit le camp, quel que soit l’ennemi. »
Même avec la signature d’un cessez-le-feu, la situation reste très tendue entre les deux États, de nombreuses agressions ont toujours lieu. La paix ne tient qu’à un fil qui peut être rompu, comme cela est arrivé en septembre. Une solution plus durable est donc nécessaire afin de mettre définitivement fin au conflit.