Le massacre des dauphins aux Iles Féroé : quelles actions possibles au niveau européen ?

© Photographie par Erik Christensen sur WikipediaCommons

Par Mathilde Leray le 11 octobre 2021

Situées dans l’Atlantique Nord, entre l’Ecosse et l’Irlande les Iles Féroé sont un territoire semi-autonome appartenant au royaume du Danemark. Cela signifie que les Iles sont administrativement rattachées au Danemark mais qu’elles jouissent d’une autonomie territoriale ; elles sont conçues comme une subdivision du pays. Malgré des paysages à couper le souffle, les îles font l’objet d’une mauvaise publicité sur la scène internationale de par leur tradition annuelle de chasse aux cétacés.

Historiquement, la tradition du « grindadrap », plus couramment dénommé « grind », servait à apporter suffisamment de viande aux peuples de ces îles reculées pour survivre toute l’année. Pour cela, les bateaux de pêche encerclaient la baie aux fins de piéger les cétacés et faire en sorte qu’ils s’échouent sur les berges. Ensuite les pêcheurs restés à terre tuaient au couteau les animaux. Cette pratique remontant au XVIème siècle, est toujours d’actualité aujourd’hui.

Ce sont 1428 dauphins à flancs blancs qui ont été tués

Déjà décriée depuis plusieurs années, cette tradition a pris une grande ampleur ce 12 septembre 2021 : ce sont 1 428 dauphins à flancs blancs qui ont été tués contre environ 600 habituellement. A tel point que les Féroïens se sont demandés ce qu’ils allaient faire de toute cette viande. La solution a donc été trouvée de contacter une entreprise de déchets pour qu’elle incinère graisse de dauphins et surplus de viande. Cet accroissement frappant du nombre de spécimens tués serait dû à une mauvaise évaluation du nombre d’individus composant le banc, avant de les encercler. 

Cette pratique, bien que traditionnelle, a de plus en plus de mal à passer, d’autant plus que les îles Féroé affichent aujourd’hui l’un des niveaux de vie les plus élevés d’Europe avec un taux de chômage d’environ 1% en 2020 contre 8% en France ; cette chasse ne semble donc plus répondre à un besoin élémentaire d’alimentation. De nombreux restaurants ainsi que burgers, pizzas et autres fast-food occidentaux y sont présents démontrant que pour la plupart des habitants l’ère de la pauvreté est belle et bien terminée. Qui plus est, la viande de dauphins n’est pas comestible ; les médecins des Iles Féroé ayant reconnu en 2008 que globicéphales noirs ne sont plus propices à la consommation humaine de par leur toxicité.

Le gouvernement local a annoncé revoir les conditions de pratique de la pêche des dauphins

Pour la première fois, le gouvernement local de l’archipel, interpellé de nombreuses fois sur cette chasse, a annoncé revoir les conditions de pratique de la pêche des dauphins. Au niveau européen et dans un climat de plus en plus protecteur des espèces animales, cette tradition semble complètement dépassée. D’autant que d’autres îles nordiques, qui avaient ce même usage, l’ont déjà abandonné comme par exemple Terre-Neuve au Groenland, les Orcades ou les Iles Shetland.  

L’Union européenne peut-elle agir pour freiner cette pratique ?

Le droit européen ne s’applique pas aux Iles Féroé

Les Iles Féroé ne sont pas considérées comme faisant parties de l’Union européenne. Elles sont seulement conçues du point de vue européen, comme territoires associés, puisqu’elles sont rattachées au Danemark qui en revanche est membres de l’Union européenne. Le statut de territoire associé signifie en l’espèce que le droit européen ne s’applique pas dans les Iles. Cet élément est fondamental pour la compréhension des développements suivants puisqu’il explique pourquoi l’action de l’Union européenne est très limitée

Protection des espèces protégées ?

Le problème repose donc sur le fait que les îles féroé jouissent d’un statut autonome

Les dauphins blancs ne sont pas une espèce en voie de disparition. La région compte environ 100 000 individus dans ses eaux. De plus, il faut souligner que les globicéphales noirs, les dauphins à flancs blancs et autres mammifères marins victimes de cette chasse organisée sont protégés par la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (entrée en vigueur le 1er juin 1982), dont l’archipel n’est pas signataire, alors que le Danemark l’est. Le problème repose donc sur le fait que les Iles Féroé jouissent d’un statut autonome. Les conventions signées par le Danemark n’ont pas de force obligatoire pour elles, à l’instar de tout autre règlement européen en matière de protection des espèces animales. 

Le droit international ne semble pas non plus pouvoir agir de manière directe pour limiter cette pratique. Les règlements internationaux ne comportent à ce jour, aucune mention sur la chasse des petits cétacés et en particulier des globicéphales noirs, alors qu’on peut voir une Commission baleinière internationale, mise en place en 1946 pour veiller à la gestion des cétacés dans le monde. 

Règles d’ordre sanitaire ?

Une limitation qui pourrait être apportée par le droit européen concerne la qualité de la viande. En effet les eaux de l’Atlantique Nord se révèlent être très polluées par les activités industrielles lourdes des pays limitrophes. De fortes concentrations de mercure et de PCB5 sont présentent dans les tissus et les chairs des cétacés et ces animaux ne sont plus considérés comme comestibles, même par le corps féringien depuis 2008. Le taux de toxicité dépasse largement les limites imposées par le législateur européen. Paradoxalement on pourrait alors considérer que la pollution des océans sauverait les animaux. 

Action des ONG ?

En 2017, la Commission Européenne a rejeté le recours de l’ONG sea sHEPhERD

Il y a quelques années la Commission européenne a été saisie d’un recours par l’ONG Sea Shepherd. L’organisme de protection des fonds marins demandait l’interdiction de la pratique du Grind, en raison de la violation par le Danemark de trois conventions européennes : Convention de Berne (précitée), Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices entré en vigueur en 1983 et Convention CITES sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction signé en 1973, dont la signature l’engageait à tout mettre en œuvre pour protéger les globicéphales. Le 25 septembre 2017, la Commission européenne a rejeté l’affaire rétorquant que « Les possibilités d’intervention directe de la Commission sont donc limitées dans le cas concerné (indépendance des Iles Féroé par rapport au Danemark) et, à sa connaissance, aucune loi de l’UE n’a été violée avec ces activités de chasse protégées par les autorités danoises ». Cette décision se comprend car au sens du droit communautaire, les jugements européens n’ont aucune force exécutoire dans les tribunaux locaux puisque les Iles Féroé n’appliquent pas le droit de l’Union européenne.

Retombées économiques ?

Pour l’ONG Sea Shepherd, un espoir de disparition de cette pratique reposerait dans les retombées économiques liées à la médiatisation de cette pratique. En effet, les rentrées économiques de l’archipel proviennent essentiellement de la vente de poissons et plus particulièrement de saumon. La population européenne, et plus largement mondiale, étant de plus en plus sensibilisée à la provenance des produits animaux et au bien-être animal pourrait boycotter massivement les produits venant de cette région. Mais cela reste encore à démontrer

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