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Par Mina Prima, le 16 janvier 2022
Hollywood avait déjà connu un véritable scandale avec l’affaire Weinstein en octobre 2017. L’industrie du cinéma n’a pas su rester paisible très longtemps, quatre ans plus tard un nouveau drame s’est produit.
Ce jour-là, le tir N’était sous aucun contrôle
Le 21 octobre 2021, les termes « drame », « accident », « tir mortel » affluent dans les titres de journaux et magazines populaires. Pendant le tournage du film Rust, un western, en plein ranch de Bonanza City au Nouveau-Mexique, un tir retentit au douzième jour de tournage. A priori, rien d’inhabituel dans un Western, où balles et revolvers semblent avoir été sélectionnés pour un premier rôle. Pourtant, ce jour-là, le tir n’était sous aucun contrôle. En effet, un revolver avait été remis, comme arme « froide » ce qui dans le jargon du cinéma signifie arme non-chargée. Or, si un fait est incontestable dans cette affaire : l’arme était bien chargée.
Après la manipulation de l’arme par Alec Baldwin, Halyan Hutchins, la directrice de la photographie de 42 ans, considérée comme une étoile montante du cinéma aux Etats-Unis, est évacuée en hélicoptère, avant de décéder à son arrivée à l’hôpital le plus proche.
Une autre balle a traversé le plateau, sous la chaleur du Sud américain. En effet, le réalisateur et scénariste du film Joel Souza n’a pas été épargné, mais s’en est tiré avec une blessure par balle, sans que soit engagé son pronostic vital.
Ce n’est pas la première fois que ce genre de drame survient lors du tournage d’un film d’action
Ce n’est pas la première fois que ce genre de drame survient lors du tournage d’un film d’action. Le jeune acteur Brandon Lee avait déjà laissé sa vie sur le plateau de The Crow, film de science-fiction signé Alex Proyas. Le film était devenu culte, déjà en hommage à l’acteur, mais aussi pour le parallèle fait entre Brandon Lee et son personnage Eric Draven, assassiné dans la fiction. En l’espèce, le procureur concluant en une simple « négligence », n’avait pas engagé de poursuites contre le tireur pour homicide involontaire ou tout autre professionnel. Seule la production avait vu sa responsabilité pénale engagée.
Un triste parallèle peut aussi être fait dans cette affaire, le film Rust étant le récit de l’aventure d’Harlan Rust sauvant son petit-fils de la pendaison après qu’il ait été condamné pour homicide involontaire. Le héros (Harlan Rust) est joué par le co-réalisateur et vedette du cinéma américain Alexander Rae Baldwin III, dit Alec Baldwin. C’est précisément sur cet acteur de 63 ans que se focalisent les médias. Effectivement, s’il tenait le premier rôle du film, il semble tenir le dernier rôle dans la chaîne de manipulation de l’arme meurtrière.
À ce stade des investigations, aucune responsabilité n’est engagée. Pourtant, il paraît tout même intéressant d’envisager quelle pourrait-être la responsabilité de chacun.
L’auteur du tir devra t-il assurément porter une lourde responsabilité pénale ?
Il semble a priori que l’acteur pourrait être accusé d’homicide involontaire. Une plainte à d’ailleurs déjà été déposée mi-novembre, contre lui, pour « comportement dangereux ».
L’homicide involontaire se traduit par le fait de causer la mort à autrui sans intention de la donner
Aux Etats-Unis, pays de common law, les infractions pénales sont classées par ordre de gravité, comme en droit français : « a misdemeanors » est l’équivalent d’une contravention, « a crime » d’un délit et « a felony », d’un crime. Ces différentes catégories se trouvent dans un unique code, « the United States Code », qui rassemble l’ensemble des lois applicables. L’homicide involontaire est l’équivalent d’un « manslaughter » (U.S.C. TITLE 18 – Crimes and Criminal Procedure ). Comme en droit français on le traduit par le fait de causer la mort d’autrui sans intention de la donner. Souvent traité comme un délit, les peines varient souvent entre dix et seize mois d’emprisonnement. Cependant, en fonction de l’État, des circonstances entourant l’infraction et la nature de l’acte (imprudence ou mise en danger délibérée), la peine est susceptible d’augmenter.
En France, l’homicide involontaire est toujours un délit. Néanmoins, les peines encourues varient au regard de la gravité du comportement, de l’acte d’imprudence commis.
Dans les deux systèmes légaux, il faut au titre de l’élément matériel de l’infraction que soit commis une faute d’imprudence par l’auteur de l’acte qui causerait le décès d’un individu.
Quelques indices pourraient jouer en faveur d’une faute commise par Alec Baldwin à ce stade de l’enquête, comme le fait que l’arme ait auparavant été utilisée pour « passer le temps » selon le site spécialisé dans le divertissement « The Wrap » ou encore que des sources présentes sur le tournage affirment que la manipulation de l’arme s’est faite sans la présence de l’armurière. En pratique, engager la responsabilité pénale d’Alec Baldwin pour homicide involontaire promet d’être compliqué, étant donné qu’il n’était pas directement responsable de sécuriser l’utilisation des armes sur le plateau. En outre, il affirme formellement ne pas avoir pressé la détente et ne pas se sentir « responsable » du supposé accident lors d’une interview pour la chaîne ABC News. La présomption d’innocence risque d’être difficile à renverser. Néanmoins, les enquêteurs ne souhaitent écarter aucune piste et cherchent toujours à démêler la participation de chacun en amont du tragique événement. Au demeurant, les autorités du comté de Suffolk de l’Etat de New York ont pu se saisir de son téléphone le 14 janvier 2022.
Le plus simple sera sûrement d’engager la responsabilité de l’acteur en tant que producteur
Le plus simple sera sûrement d’engager la responsabilité de l’acteur en tant que producteur. Assurément, la sécurité sur la plateau de ce film petit budget pour un Western selon les standards Etats-uniens (6-7 millions), n’était manifestement pas assez rigoureusement respectée, mais notamment par lui car selon le règlement de sécurité de l’industrie du cinéma l’arme doit être testé par l’armurier devant l’acteur en amont avant de lui être remise.
Quelle responsabilité à porter pour les professionnels en charge de la sécurité sur le plateau ?
Il paraît tout à fait logique que seules les balles factices soient autorisées sur les tournages, en France comme aux Etats-Unis. Le plus préoccupant pour les autorités du comté de Santa Fe (Etat du Nouveau-Mexique) et de Suffolk (État de New-York) reste de comprendre comment une vraie balle a pu se retrouver dans la gâchette d’un accessoire.
L’étau se resserre autour des précédents manipulateurs de l’arme avant la catastrophe. Dave Halls, assistant réalisateur, est en première ligne. En effet, les investigations ont permis de mettre à jour que l’arme avait été remise de ses mains. S’il prétend que l’arme est chargée à blanc au moment de la passation, il ne serait être épargné par des circonstances atténuantes et encore moins par la société de production. En effet, celle-ci a affirmé que l’individu avait dû quitter le tournage du film Freedom’s Path en 2019 après une blessure par arme à feu. Son licenciement paraît impliquer une responsabilité de sa part pour un accident similaire et dans un temps très proche.
Assurément la deuxième en liste est Hannah Guttierez-Reed, très jeune accessoiriste en chef et armurière du plateau. Si des sources semblent affirmer qu’elle n’était pas physiquement présente au moment du tir, son travail consiste précisément à vérifier régulièrement que les armes ne sont pas chargées avant toute manipulation.
Des plaintes ont été déposées contre ces deux individus. Potentiellement auteurs d’une faute d’imprudence, ils pourraient voir leur responsabilité engagée selon la tournure que va prendre l’enquête avant le procès. Le plus simple pour eux serait de démontrer qu’une faute pèse surtout sur la société de production des armes. À ce titre, Hannah Guttierez-Reed a déposé une plainte contre elle, pour savoir comme une charge a pu se retrouver dans le revolver. Les enquêteurs tentent de comprendre quel type de projectile a été tiré et dans quelles circonstances.
Le protagoniste risquant le plus à même de voir sa responsabilité engagée est la société de production qui, en organisant la répartition du budget, doit normalement en parallèle mettre en place une politique de sécurité sur le plateau. Dans l’affaire Brandon Lee, elle avait d’ailleurs été la seule à voir sa responsabilité engagée, pour un lourd tribut de dommages et intérêts à payer.
La responsabilité des personnes morales peut être engagée pour une faute simple d’imrprudence
Aux Etats-Unis comme en France, la responsabilité pénale des personnes morales peut être engagée par une faute simple d’imprudence alors qu’elle n’est que l’auteur indirect de l’infraction. Les conditions sont similaires à celles du système juridique français. Une personne organe ou représentante de la personne morale doit commettre une faute pour son compte. Cependant, aux Etats-Unis, les sociétés risquent de bien plus lourdes sanctions pécuniaires qu’en France. De même les dirigeants, dont la responsabilité est souvent engagée en parallèle, sont bien plus souvent condamnés à une peine privative de liberté. De ce fait, une pratique de justice négociée apparaît et perdure, le « Deferred Prosecution Agreement ». Il est donc probable que la société de production ait recours à ce mécanisme pour étouffer l’affaire, minimiser la responsabilité des dirigeants dont celle d’Alec Baldwin et reprendre le tournage au plus vite.
Certains employés ont déjà porté plainte contre la société de production pour le préjudice moral résultant de l’accident
Déjà parce que les premiers éléments de l’enquête démontrent que l’arme avait été plusieurs fois actionnée involontairement en amont. Ensuite parce que l’armurière n’était pas présente sur les lieux au moment du tir. Certains employés comme Mamie Mitchell, scripte, ont déjà porté plainte contre elle pour le préjudice moral résultant de l’accident qu’elle ne considère pas anodin.
En définitive, pour le moment rien ne peut dépasser le stade de la supposition, excepté le caractère accidentel de l’événement. Aucune responsabilité pénale n’est engagée et les investigations continuent. Ce drame aura au moins permis aux sociétés de production et aux auteurs de remettre en cause l’utilisation de vraies armes sur un plateau. Dwayne Johnson déclare ainsi sur Tweeter que sa société de production, Seven Bucks Production, n’utilisera plus que des armes factices.