Le droit de l’environnement et la dérèglementation face au Conseil Constitutionnel

© Photographie par Mbzt sur Wikipedia Commons

Un article par Elise Charrier le 20 mai 2021

Le droit de l’environnement a de plus en plus d’importance dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Les lois émergeant progressivement dans ce domaine, le juge constitutionnel est souvent invité à contrôler les dispositions législatives vis-à-vis du bloc de constitutionnalité. Pourtant, il est possible de se demander si son approche jurisprudentielle est toujours favorable à la protection de l’environnement.

Les 27 et 28 octobre 2020, le Parlement a adopté la loi d’Accélération et de simplification de l’action publique dite « loi Asap ». Comme ils le sont autorisés depuis une révision constitutionnelle de 1974, soixante députés ont saisi le Conseil Constitutionnel afin qu’il contrôle la constitutionnalité de cette loi ordinaire avant sa promulgation. C’est ainsi que le Conseil Constitutionnel a rendu le 3 décembre 2020, une décision relative à la constitutionnalité de la loi Asap. Cette loi prévoit notamment l’adoption d’articles s’insérant dans le code de l’environnement.

La volonté de dérèglementation

Les Sages de la rue de Montpensier ont alors été confrontés à ce qu’on appelle des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire à des propositions d’articles qui semblent sortir de l’objet initial de la loi. Ils vont alors déclarer non-conformes à la Constitution de 1958, vingt-six articles qui ne reflètent pas l’intention initiale du législateur. Cela concerne notamment l’article 68 de la loi relatif à la formation à la citoyenneté numérique et également l’article 69 de la loi qui concerne l’évaluation de la charge normative de l’Education Nationale.

Par cette déclaration d’inconformité à la Constitution de ces cavaliers législatifs, les juges constitutionnels dévoilent leur volonté de diminuer le poids et le volume de la loi

Par cette déclaration d’inconformité à la Constitution de ces cavaliers législatifs, les juges constitutionnels dévoilent leur volonté de diminuer le poids et le volume de la loi et donc de la faire gagner en clarté, en transparence. Il s’agit de donner raison au principe d’intelligibilité de la loi.

Cependant, il apparaît difficile de pouvoir déclarer non conformes à la Constitution de trop nombreux articles de la loi, ce qui reviendrait à remettre en cause sa substance. Cela semble donc justifier l’absence de déclaration d’inconformité à la Constitution de l’article 73 de la loi par exemple, qui prévoit le renforcement de la lutte contre les squatteurs. De ce fait, l’article 73 de cette loi qui organise l’expulsion administrative, sans l’appréciation du juge et donc sur la seule décision du préfet, des personnes sans droit ni titre qui occupent « le domicile d’autrui, que ce soit ou non sa résidence principale » a été maintenu tel quel. Pourtant, l’article 74 qui triple les peines contre les squatteurs a, quant à lui été remis en cause par le juge constitutionnel.  

Les juges constitutionnels en rejetant vingt-six articles de la loi Asap sont venus répondre aux critiques de cette loi qualifiée par certains de loi « fourre-tout ».

L’approche jurisprudentielle contestable de la protection de l’environnement

Le Conseil Constitutionnel dans cette décision, s’est également attardé aux articles de la loi portant modifications du code de l’environnement. Concernant, l’article 34 de la loi Asap qui vient modifier les règles et les prescriptions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement, le Conseil Constitutionnel déclare conformes à la Constitution les dispositions du code de l’environnement que cet article modifie. En effet, pour la juridiction constitutionnelle, ces dispositions respectent le droit à un environnement sain et équilibré et le devoir de prévention, issus des articles 1 et 3 de la Charte constitutionnelle de l’environnement de 2005. Ainsi, la mise en œuvre des règles et prescriptions pour les installations classées est seulement reportée, cela répond donc toujours au devoir de prévention. De même, les dispositions contestées en l’espèce et relatives au « gros œuvre » ont pour objet de ne pas remettre en cause ce qui a déjà été acquis notamment pour des « installations déjà existantes » et sur des « projets en cours d’instruction ».

Avec le report de la mise en oeuvre des règles et prescriptions des installations classées se pose la question de l’effectivité du respect du devoir de prévention

Sur ce point, le Conseil Constitutionnel semble partiellement favorable à la protection de l’environnement. Il justifie le report de la mise en œuvre des règles et prescriptions pour les installations par le respect du devoir de prévention. Ce devoir de prévention a pour but d’éviter, de réduire ou en dernier lieu, de compenser les risques connus d’atteintes à l’environnement. Pourtant, avec ce report de la mise en œuvre des règles et des prescriptions on peut se poser la question de l’effectivité du respect du devoir de prévention si ce devoir n’est pas respecté de manière immédiate.

La reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de non-régression permettrait de donner une importance majeure à l’objectif d’amélioration constante de la qualité de l’environnement

Le Conseil Constitutionnel estime par ailleurs que les dispositions en cause ne conduisent pas à une régression de la protection de l’environnement. Le principe de non-régression est mentionné à l’alinéa 9 de l’article L 110-1 II du code de l’environnement. En l’espèce, le Conseil Constitutionnel n’a pas reconnu de valeur constitutionnelle à ce principe qui prône une dynamique « d’amélioration constante » de l’environnement « compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Il ne l’a pas fait non plus dans sa décision postérieure portant sur l’usage des néonicotinoïdes, alors qu’il aurait peut-être pu le faire en se fondant sur l’article 2 de la Charte constitutionnelle de l’environnement relatif au devoir de préservation et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Cela semble à nouveau mettre en avant le fait que le Conseil Constitutionnel n’est pas toujours favorable à la préservation de l’environnement. La reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de non-régression permettrait de donner une importance majeure à l’objectif d’amélioration constante de la qualité de l’environnement.

Le Conseil Constitutionnel valide également les modifications du code de l’environnement issues de l’article 44 de la loi Asap concernant la consultation du public. Ainsi, la marge de manœuvre laissée au préfet pour choisir une procédure de consultation du public plus souple et uniquement en ligne ne contrevient pas au principe de participation du public que l’on trouve à l’article 7 de la Charte constitutionnelle de l’environnement. Cette appréciation jurisprudentielle peut-être critiquable dans la mesure où une simple consultation du public en ligne peut paraître restrictive au regard du respect du principe de participation du public. Même si ce mode numérique de participation est déjà envisagé, de manière expérimentale pour l’instant, pour l’enquête publique, il semble que certaines failles peuvent être avancées notamment avec le risque de fraude. Pourtant, la participation du public par la voie numérique présente l’avantage d’être plus accessible en n’obligeant pas les citoyens à se déplacer.

Le juge constitutionnel semble plutôt faire prévaloir les intérêts économiques au détriment des intérêts environnementaux

Les juges constitutionnels déclarent également conformes à la Constitution les dispositions modifiées du code de l’environnement qui viennent faciliter des projets industriels avec notamment la possibilité de commencer les travaux avant que toutes les autorisations soient délivrées. Cela semble donc faire prévaloir la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ainsi, le juge constitutionnel semble plutôt faire prévaloir les intérêts économiques au détriment des intérêts environnementaux.

Le Conseil Constitutionnel décide donc le 3 décembre 2020 que la loi Asap adoptée par le Parlement en octobre peut être promulguée partiellement, c’est-à-dire sans les dispositions ayant été déclarées non conformes à la Constitution et que l’on peut caractériser de « cavaliers législatifs ». Tout en prônant l’objectif de dérèglementation avec l’idée d’éviter la surabondance de normes, le juge constitutionnel semble plutôt défavorable au droit de l’environnement et donc à la protection de l’environnement.

(La version courte de cet article a été écrite en janvier 2021 dans le cadre du 7ème prix Guy Carcassonne)

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