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Par Léa Senhadji le 8 avril 2020
L’article 224-24 du Code Pénal dispose que le viol sur mineur de moins de quinze ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Comment alors expliquer l’affaire Polanski ?
Condamné aux États-Unis en septembre 1977 à 90 jours de prison après avoir plaidé coupable pour rapports sexuels illégaux avec un mineur sur la personne de Samantha Gailey, Roman Polanski sortira pour bonne conduite 42 jours plus tard. Il a subi des « examens mentaux » pendant son incarcération, ce qui explique la brièveté de la peine ; un sursis est prononcé pour lui permettre le tournage d’un film en cours. Cependant, le cinéaste se sent bien vite menacé à la suite de ces résultats lorsqu’il apprend qu’il risque une peine d’incarcération d’une durée de 50 ans. Il trouvera asile en France, mais se déplacera également librement dans de nombreux pays européens.
Pourtant, malgré un pardon public de Gailey et même une demande d’abandon des poursuites formulée de sa part, Roman Polanski demeure considéré comme un fugitif aux yeux du système judiciaire américain
Polanski sera pourtant détenu provisoirement à Zurich en 2009 le temps de l’examen de la demande d’extradition par la justice Suisse faite par les Etats-Unis en 2005, mais une libération sous caution prononcée par le tribunal helvétique lui permettra bien vite de se réfugier avec sa famille dans son Chalet en Suisse. Le ministère Suisse de la justice annoncera d’ailleurs quelques mois plus tard qu’il ne sera pas extradé et restera libre de ses mouvements. Pourtant, malgré un pardon public de Gailey et même une demande d’abandon des poursuites formulée de sa part, la justice américaine refuse jusqu’à aujourd’hui d’accéder à la demande ; Roman Polanski demeure considéré comme un fugitif aux yeux du système judiciaire américain.
L’accusation de Samantha Gailey n’est malheureusement qu’une parmi d’autres : Charlotte Lewis, Renate Langer et Marriane Barnard accusent également le réalisateur
L’accusation de Samantha Gailey n’est malheureusement qu’une parmi d’autres : Charlotte Lewis dénonce ainsi une agression sexuelle du cinéaste lors d’un casting passé à 16 ans, chez lui, à Paris, en 1983. Renate Langer et Marriane Barnard accusent également le réalisateur ; la première dénonce un viol subi à l’âge de 15 ans en 1973, et la seconde une agression sexuelle alors qu’elle avait 10 ans en 1975, mais le réalisateur restera présumé innocent de derniers ces faits puisqu’ils sont prescrits.
L’extradition étant juridiquement impossible, Roman Polanski détenant la nationalité française, et la France n’extradant pas ses nationaux (1), il ne reste, pour que le réalisateur soit jugé, qu’une seule possibilité : que la France ouvre elle-même une enquête. La responsabilité du système judiciaire français est d’autant plus grande que l’accusation de Charlotte Lewis porte sur un fait qui aurait eu lieu à Paris, à peine quelques années après qu’il se soit réfugié en toute impunité de son second viol en France.
Un fait d’actualité a remis l’affaire en lumière : la victoire du réalisateur de quatre Césars pour son film J’accuse cette année. Victoire qui provoquera d’ailleurs la sortie de la salle d’Adèle Haenel, actrice qui soutient également avoir été harcelée sexuellement de ses 12 ans à ses 15 ans par Christophe Ruggia, un réalisateur. « C’est une honte », criera t-elle en sortant.
Frédéric Mitterand, ancien ministre de la culture, apportera lui en revanche tout son soutien à Polanski. Mais après tout, pouvait-t-on en attendre moins de celui qui écrivait dans son livre autobiographique Mauvaise vie : «Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément […] la profusion de jeunes garçons très attrayants et immédiatement disponibles me met dans un état de désir que je n’ai plus besoin de réfréner ou d’occulter. L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système, celui qui fonctionne enfin car je sais qu’on ne me refusera pas » ?
L’affaire Polanski n’est malheureusement pas un cas isolé ; le traitement réservé à Gabriel Matzneff y fait parfaitement écho. Écrivain ouvertement pédophile, il en a d’ailleurs fait pendant des années, et dans plusieurs de ses livres, l’apologie, lui-aussi en toute impunité.
Il écrit ainsi dans Un Galop d’enfer en 1986 qu’il lui « arrive d’avoir jusqu’à quatre gamins – âgés de 8 à 14 ans – dans [son] lit en même temps, et de [se] livrer avec eux aux ébats les plus exquis ».
Ses soutiens ne se limiteront pas à cette illustre figure : on compte ainsi Christian Guidicelli, lauréat du prix Renaudot de 1986 parmi ses amis intimes, mais aussi Pierre Bergé, et surtout son conjoint Yves St Laurent
Plutôt que de récolter des critiques, c’est de l’admiration, et même de la protection qu’il gagnera de la part de son puissant réseau. Comment imaginer en effet son arrestation alors qu’il fut (au moins) invité une fois par le président Mitterand à dîner pour être justement félicité de sa production littéraire ?
Évidemment, ses soutiens ne se limiteront pas à cette illustre figure : on compte ainsi Christian Guidicelli, lauréat du prix Renaudot de 1986 parmi ses amis intimes, mais aussi Pierre Bergé, et surtout son conjoint Yves St Laurent qui payait le loyer d’un appartement où Matzneff vivait avec Vanessa Springora alors qu’elle n’était âgée que de 14 ans. Ce n’est que d’ailleurs que grâce au retentissement médiatique de la sortie récente du livre de cette dernière, Le Consentement, que Gabriel Matzneff sera jugé en septembre 2021 pour apologie de la pédophilie. Une enquête ouverte bien tardivement mais qui a le mérite d’exister, ce qui n’est rappelons le toujours pas le cas pour Roman Polanski.
Si ces affaires semblent scandaleuses, il pourrait être tentant de se dire que cette tolérance presque institutionnalisée à l’égard de certains ne découle que de la mise sur un piédestal des artistes, à qui l’immunité, aussi détestable soit-elle serait réservée.
Pourtant, « Plus de 90 % des viols sont correctionnalisés ; cela veut dire que le magistrat enlève la notion de pénétration pour sortir des cours d’assises et mettre ces dossiers-là dans des tribunaux correctionnels (…) la plupart des condamnations relèvent du sursis » affirme l’avocate Marie Grimaud. Les causes évoquées : une volonté de désengorger les tribunaux où les dossiers s’accumulent, ainsi que « l’idée de seconde chance », qui, bien qu’absente des textes légaux est pourtant de fait la cause du grand nombre de sursis prononcés.
Le chemin semble encore long pour que la pédophilie soit mieux appréhendée judiciairement.
(1) comme le dispose la loi du 10 mars 1927