Les enjeux de l’adoption du projet de loi de confiance dans l’institution judiciaire par l’Assemblée nationale

© Photographie par Coucouoeuf sur Wikimedia Commons

Par Alexandre MICHEL, le 10 octobre 2021

Si E. Dupont-Moretti (actuel Garde des Sceaux) considère que « La confiance des Français dans la justice s’érode chaque jour davantage, au point de mettre en danger notre pacte social [pensé par J.J Rousseau] » et voit en la loi de confiance dans l’institution judiciaire un remède ; le Conseil d’État dans son avis délivré en date du 8 avril 2021 regrette l’absence de considérations sur « l’inspiration générale » du projet de loi et met en exergue un manque d’effort autour de l’articulation de ses dispositions. 

Adopté le 25 mai 2021 par l’Assemblée nationale ; le Sénat a modifié le 29 septembre, en première lecture, le projet de loi de confiance dans l’institution judiciaire. Une commission mixte paritaire a été convoquée le 30 septembre 2021 ayant pour vocation de mettre fin, autour d’un compromis, au débat parlementaire en bonne et due forme. Ainsi, demeure une volonté hâtive de voir cette loi naître. 

Cette loi s’entendrait d’une intention de rétablir la confiance des français dans la justice qui semblerait partiellement ternie

Cette loi s’entendrait d’une intention de rétablir la confiance des français dans la justice qui semblerait au demeurant partiellement ternie. En effet, aux termes d’un sondage réalisé par le CSA pour le Sénat, le constat encourage l’intervention du législateur ; en particulier lorsque 93% des français dénoncent la lenteur de la justice et que 68% estiment la justice « trop laxiste » (encore faudrait-il déterminer les contours et l’appréciation d’un « trop de laxisme »).   

Plusieurs causes reviennent régulièrement lors de débats politiques dont les principaux relèvent de l’accroissement d’actions en justice et de la complexification constante de la procédure pénale.

Dès lors, l’intérêt d’un tel projet de loi tiendrait dans une volonté de remédier à la défiance des français à l’égard de la justice. Si la confiance est entachée, il convient de ne pas oublier qu’il est question d’une notion faisant appel à la subjectivité de chacun ; une notion quelque peu indécelable et difficilement atteignable pour une institution judiciaire. 

Mais le ton est ainsi donné ; la loi se verra-telle saluée ou bien raillée ? Nos médias auront l’honneur de dresser un bilan sur le long terme. A ce jour, ladite loi n’étant pas encore entrée en vigueur, il conviendra de s’atteler à l’étude de sa portée et de ses enjeux.

L’enregistrement et la diffusion des audiences pour améliorer la connaissance des missions et du fonctionnement de la justice

Si historiquement, le projet de loi relatif à l’enregistrement audiovisuel ou sonore des audiences des juridictions initié par Robert Badinter a permis la captation vidéo du procès de Klaus Barbie en 1987 et la captation audio de l’affaire du sang contaminé ; quid du projet de loi de confiance dans l’institution judiciaire ?

Si l’enregistrement sera rendu possible aussi bien en matière d’audiences civiles, pénales, administratives (article 1 du projet de loi) ; l’accord préalable des parties sera quant à lui nécessaire lorsque l’affaire portée n’est pas publique. A noter également que les mineurs et majeurs protégés ne seront pas concernés. La captation sonore ou audio sera, conformément à l’esprit de la loi Badinter, subordonnée à l’accord préalable du président du tribunal.   

Le droit à l’oubli sera également consacré en prévoyant que ne puisse être diffusé, aucun élément d’identification des justiciables, à l’issue d’un délai de 5 ans après la première diffusion.

Il conviendra de ne pas omettre le fait que la justice est avant tout une affaire d’ « hommes » rendue par des « hommes ».

Si le garde des sceaux met en avant l’intérêt pédagogique et psychologique d’une telle disposition ; un point d’ombre demeure quant à la diffusion numérique, voire télévisée. En ce sens, il semblerait suffisant d’encourager les français à se rendre à des audiences afin, d’évaluer avec justesse, le travail de nos magistrats et avocats. A titre d’exemple, le plus régulièrement, les jurés populaires l’affirment par eux-mêmes : leur regard de la justice change en y prenant part. Il conviendra de ne pas omettre le fait que la justice est avant tout une affaire d’ « hommes » rendue par des « hommes ».

Améliorer le déroulement des procédures pénales

Renforcement des garanties judiciaires au cours de l’enquête et de l’instruction

La recherche de preuves durant l’instruction n’est que très rare en matière pénale. En effet, moins de 3% des procédures sont des informations judiciaires.   

L’enquête préliminaire fait l’objet de vives critiques politiques de par sa lenteur et sa tendance à ne pas assurer suffisamment le caractère contradictoire de la procédure

A contrario, le recours aux enquêtes préliminaires (qui se distinguent des enquêtes de flagrance) en matière pénale se veut fréquent, voire quasi-omniprésent. Cette enquête fait l’objet de vives critiques politiques de par sa lenteur et sa tendance à ne pas assurer suffisamment le caractère contradictoire de la procédure, déclinaison majeure du droit à un procès équitable consacré par deux articles majeurs, à savoir : l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du code de procédure pénale. Les statistiques à ce sujet ne vont pourtant pas dans le sens des critiques : 84,7% des procédures d’enquêtes sont clôturées dans l’année de leur enregistrement ; 97% des enquêtes durent moins de deux ans, et 3,2 % des enquêtes durent au-delà de trois années. 

La pratique judiciaire ne suffisant pas, un nouvel article 75-3 du code de procédure pénale verra le jour afin de limiter à deux ans maximum la durée des enquêtes préliminaires en matière de droit commun ; étant précisé que ce délai pourra être prorogé d’un an sur décision expressément écrite par le procureur. En termes de criminalité organisée (droit dérogatoire), la durée des enquêtes sera fixée à 3 ans et la prorogation à 2 ans.

De surcroît, le projet de loi s’inscrit dans une logique de renforcement des droits de la défense lorsque le mis en examen encourt une peine pouvant être considérée comme attentatoire aux libertés.  Ainsi, l’accès au dossier de la procédure d’enquête sera désormais possible pour « une personne ayant fait l’objet d’une perquisition depuis au moins un an » (article 77-2 du code de procédure pénale ainsi amendé) ou encore lorsque le mis en examen est présenté dans les médias comme coupable des faits qui lui sont reprochés durant l’enquête dans un soucis de garantie de la présomption d’innocence consacrée à l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article préliminaire du code de procédure pénale. 

Limitation du recours à la détention provisoire

A l’instar des garanties susénoncées, la détention provisoire se verra également amendée. Au lendemain du décret du 23 septembre 2020 relatif à la mise en œuvre d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement ; l’article 5 du projet de loi consolide les exigences de motivation ayant trait aux décisions attentatoires aux libertés : l’une tenant à l’ordre donné quant à la prolongation de la détention provisoire et l’autre émanant du rejet d’une demande de mise en liberté pour une détention strictement supérieure à huit mois (nouvel article 137-3, alinéa 1er CPP). Mais ce nouvel article ne s’arrête pas à un détail de motivation près. En effet, le refus de placement sous surveillance électronique ne pourra être allégué « qu’en cas d’impossibilité liée à la personnalité ou à la situation matérielle de la personne » (nouvel article 142-6, alinéa 3, 3° CPP). 

La limitation du placement en détention provisoire mériterait hypothétiquement débats et discussions

Dans de telles conditions, la limitation du placement en détention provisoire mériterait hypothétiquement débats et discussions. A bien des égards, il convient raisonnablement de se demander si, le législateur a pour ambition, sans réellement l’afficher, d’écarter le recours à la détention provisoire (ou du moins de le limiter aux affaires les plus graves) ? 

Toutefois, il apparaît louable que le législateur cherche à pallier la surpopulation carcérale, d’autant plus lorsque près d’un tiers des détenus sont des personnes en détention provisoire. 

Amélioration de la procédure de jugement des crimes et des dispositions relatives à l’exécution des peines

La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice était venue confier à des cours criminelles sans jury (ou cours criminelles départementales), le jugement de crimes punis d’une peine de réclusion criminelle de 15 ou 20 ans (majoritairement des viols) lorsqu’ils ne sont pas commis en état de récidive. Si, dans un premier temps, ces cours devaient faire l’objet d’une expérimentation d’une durée de 3 ans ; le législateur semble déterminé à les généraliser en les érigeant en juridictions de droit commun (article 7 et 8 du projet de loi) dès janvier 2022. Le Conseil d’État a pourtant, par avis, jugé une telle décision hâtive et trop anticipée eu égard à l’étude de leurs effets, à ce jour loin d’être certaine. 

Une telle volonté du législateur semble marquer une contradiction majeure dans la quête d’une « re »conquête de la confiance du peuple français dans la justice

Une telle décision du législateur fait l’objet de controverses, d’autant plus lorsqu’elle a pour enjeu de reprendre à l’identique la loi de mars 2019 quant à l’évincement, des jurés populaires. La justice pénale ne serait, dès lors, plus l’affaire du peuple mais uniquement de magistrats professionnels. Une telle volonté du législateur semble marquer une contradiction majeure dans la quête d’une « re »conquête de la confiance du peuple français dans la justice.   

Bien qu’il soit question d’un enjeu fondamental de notre démocratie, le garde des sceaux et le législateur semblent le contredire face à une recherche (devenue quasi-systématique au préjudice de la qualité des jugements) du traitement dans un « délai raisonnable » des affaires criminelles et de lutte contre la correctionnalisation (bien que ce dernier point aurait plausiblement mérité d’attendre la fin de l’expérimentation initialement prévue). 

Abandon du système de réductions de peines dites « automatiques »

L’article 9 du projet de loi prévoit la suppression de réduction de peines « automatiques » incomprise et dénoncée à plusieurs reprises par les français par son caractère général bénéficiant à tous les détenus. Ces mesures se verront substituées par une individualisation de l’aménagement des peines en faveur d’une récompense des efforts fournis par le détenu : soit par une bonne conduite ou soit par des efforts manifestant son envie de réinsertion sociale (article 721 du code de procédure pénale et s.). 

Le Conseil d’Etat ne manque pas de soulever l’accroissement de sorties dites  » sèches « 

Toutefois, le Conseil d’État, dans un avis en date du 8 avril 2021, ne manque pas de soulever le risque d’accroissement de sorties dites « sèches » lorsque ce nouveau dispositif de réduction au « mérite » ne permet pas de connaître la date prévisionnelle de la sortie de prison. Une autre problématique tiendra aux critères d’appréciation par les juges d’application des peines ; appelant certainement à une part de subjectivité (qui se veut contraire à l’interprétation stricte de la loi pénale). 

Renforcer la confiance dans le service public pénitentiaire, dans l’action des professionnels du droit

Le secret professionnel des avocats

Le secret professionnel incombant aux avocats sera désormais considéré comme un principe directeur figurant à l’article préliminaire du code de procédure pénale ; bien qu’il le soit déjà au visa de l’article 2 du règlement intérieur de la profession des avocats. De surcroît, sera limitée l’investigation à l’encontre d’un avocat dans la seule hypothèse de raisons certaines de le soupçonner. A noter que cette disposition s’entendrait davantage de l’entérinement d’une jurisprudence constante (v. crim. 4 oct. 2016, n°16-82.308). 

Vers des droits sociaux pour des travailleurs détenus ?

D’une part, l’article 11 tend à créer un contrat d’emploi pénitentiaire visant à substituer l’acte unilatéral d’engagement qui relie, encore aujourd’hui, un détenu à l’administration pénitentiaire. L’administration se devra de prendre toutes les mesures jugées nécessaires afin de garantir une activité professionnelle aux détenus qui le souhaitent (encore faudrait-il, éventuellement, se poser la question de la surpopulation carcérale au préalable). 

De surcroît, l’article 14 du projet de loi prévoit la transposition de certaines dispositions du code du travail à l’administration pénitentiaire : durée du travail, temps de repos, heures supplémentaires et jours fériés. Les détenus se verront également attribuer des droits sociaux (assurance maladie, assurance chômage, etc.). 

Dès lors, cette logique s’inscrit dans le respect de la dignité des personnes incarcérées imposée par la réinsertion socio-professionnelle ; facteur essentiel pour lutter contre la récidive.   

En effet, en 2018, lorsque l’Allemagne consacrait à la justice 131,2 euros par habitant ; la France n’en consacrait que 69,5

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In fine, la quête d’une confiance dans la justice (lato sensu) chez nos concitoyens français s’entendrait-elle d’un attachement aux mesures susénoncées ? L’enjeu fondamental tiendrait aujourd’hui davantage aux moyens humains et économiques de la justice ; mais cet enjeu, bien qu’évoqué, n’a pas encore eu le mérite d’être discuté sur le fond à l’Assemblée nationale ou au sein de l’exécutif. 

Madame Anne-Marie GOBIN, présidente près le tribunal judiciaire de Nancy, déclarera que lorsque les magistrats du siège délibèrent, ces derniers n’ont pas « la pleine maîtrise de leur cerveau » face à des audiences prenant parfois effet jusqu’à 2 heures du matin ; un constat quelque peu alarmiste, faute d’une justice qui manque de moyens humains et économiques (v. « Mandat de dépôt », Grands reportages, 17 oct. 2021).

Des sénateurs, quelque peu avant-gardistes, rapportaient déjà en 2017 que « le budget de la justice demeure insuffisant pour accomplir ses missions et n’apparaît pas digne d’une grande démocratie » (Rapport d’information du Sénat, Ph. BAS, E. BENBASSA, J. BIGOT, F.N. BUFFET, C. CUKIERMAN, J. MÉZARD F. ZOCCHETTO, 4 avril 2017). En effet, en 2018, lorsque l’Allemagne consacrait à la justice 131,2 euros par habitant ; la France n’en accordait que 69,5. A noter que les pays avec une moyenne de PIB comparable à celui de la France consacraient en 2018, 84,3 euros par habitant à leur justice. Notre Garde des sceaux, bien qu’ayant obtenu une hausse de 8% du budget de la justice en 2021 ; cela ne semble, de prime abord, pas suffisant pour renverser les carences de la justice française qui est à bout de souffle (« Les carences de la justice française mesurées par le Conseil de l’Europe », Le monde, 22 octobre 2020).

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